L’article suivant est ma traduction d’un article de mon collègue et ami canadien Peter, The Untidiest Face of Hope, publié sur son blog http://walkinginbethlehem.blogspot.com 14 Jan 2014 (texte original en bas de page).
La Palestine peut être affreuse. Laide. Il y a des montagnes de déchets ménagers dans les rues. Ceci est surtout dû au manque de services publics, même si les gens paient beaucoup d’impôts aux forces d’occupation.
Les terrains vagues, par exemple, servent de dépotoirs parce que les gens n’ont pas d’autres endroits[1] pour jeter sanitaires cassés, déchets de chantier, vieux divans, sans parler des branches d’arbres (en particulier après la tempête de neige), des jouets cassés, des vieilles lampes, des chaises, tout ce que vous imaginez…
Il y a bien des poubelles comme chez nous, mais pas assez. Alors elles débordent. Les services municipaux sont désorganisés et en sous effectifs (du côté Palestinien, je dois dire, pas du côté Israélien, là où il y a de l’argent et du personnel).
J’ai refusé de photographier ces déchets, car j’imagine hélas trop bien comment les gens pourraient réagir. J’ai déjà entendu un volontaire ici (pas un membre de EAPPI, heureusement) dire quelque chose comme « est-ce que ces gens ne peuvent pas soigner leur environnement ? »
C’est sans doute un peu vrai. Les gens pourraient être plus soigneux. Mais cette situation reflète surtout leur sentiment d’impuissance face à l’occupation. Leur fatalisme devant l’impossibilité d’améliorer les choses. Ou plus précisément, leur désespoir.
Je refuse de critique les gens désespérés. Dans de telles circonstances, c’est si compréhensible.
Par ailleurs, les Palestiniens ont un sens de l’espoir étonnant, créatif et obstiné (et, oui, désordonné). Cela se remarque particulièrement dans les villages et banlieues, où de nombreux bâtiments semblent inachevés. Ce qui serait impensable chez nous est habituel ici : les immeubles sont stoppés à mi-hauteur, comme celui-ci
Vous voyez le toit incomplet de cette Mosquée?[2] Ces fers à béton qui pointent vers le ciel ? Ils vont rester ainsi quelques semaines, mois, années. Pour toujours peut-être. Ils attendent que béton et briques soient mis en place pour terminer la structure. Des centaines, peut-être des milliers de maisons et d’immeubles en Palestine ont des toits qui ressemblent à cette mosquée. C’est désordonné, affreux, même, à vrai dire. Et ce n’est pas pour me déplaire.
Pourquoi ?
Beaucoup de bâtiments sont menacés de démolition dans la zone C (qui est sous contrôle total de l’administration Israélienne). Il est notoire que ces ordres de démolition sont arbitraires et leur application discriminatoire. Ce sont exclusivement les infrastructures Palestiniennes qui sont visées (je le mentionne car la même administration Israélienne gère les implantations en Zone C, avec une toute autre proportion d’ordres de démolition – s’il y en a même jamais eu – à l’encontre des bâtiments Israéliens).
Pourtant, la biologie humaine étant ce qu’elle est (en particulier dans les sociétés sous stress), les familles ont tendance à croître. Par des naissances bien entendu. Et de toute manière parce que les enfants grandissent et nécessitent plus de place, n’est-ce pas ? Les familles Palestiniennes ont besoin de plus en plus d’espace résidentiel. Une spirale infernale est en route : l’espace disponible est déjà menacé de démolition. La pression augmente, la famille tente d’agrandir la maison malgré tout, reçoit un nouvel ordre de démolition, fait recours, etc…
Rien de plus écœurant que d’assister à ces démolitions—j’en ai vu les tristes séquelles.
Alors merci de rester avec moi, mes amis : tout ceci est affaire de maisons inachevées et de fers à béton. Et d’espérance.
Car voyez-vous, laisser les fers en place sur les toits revient à dire que – Inch’Allah – soit l’occupation cessera, soit les lois seront mieux appliquées. Ou alors que les ordres de démolition se dissiperont un beau jour comme des nuages. Et les gens pourront ajouter quelques étages à leurs maisons.
Du moins c’est ainsi que je regarde ces hideux fers à béton, dressés vers le ciel comme des doigts fragiles. C’est de l’espoir, complètement, simplement. De l’espoir en désordre.
Peter Fergus-Moore
Traduit de l’anglais (Canada) par Eric Bornand
[1] Note du traducteur : j’ai entendu dire qu’un projet d’usine d’incinération des déchets à avorté car l’autorisation de construire était assortie de l’obligation de gérer les déchets des colonies voisines…
[2] NDT : La photo de la Mosquée est de P.Fergus-Moore. Les autres images ci-dessous sont inspirées par cet article. Sur deux d’entre elles, on devine le mur de séparation au second plan.
Texte original
Palestine can be a very untidy place. By that, I mean that there is a heck of a lot of garbage lying around. This is largely because there are few if any services for the people even though they pay substantial amounts in taxes to the Occupying power.
Vacant lots, for example, are often dumping grounds simply because there is no place for people to put broken down toilets, discarded building materials, old sofas, not to mention tree branches (quite a few of those around yet from the effects of the recent winter storm), broken toys, old electric lamps, chairs and a plethora of other discarded material. That said, there are dumpsters as we know them, but they overflow through the sheer volume of waste because there aren’t enough of them and the disorganized, undermanned municipality service (on the Palestinian side, I might add; certainly not the Israeli side–that’s where the money and the staffing goes) simply can’t keep up.
I have refused to photograph any of this because I can see with gnawing exactitude how some people will react. And I have already heard it here from an international (not one of the EAs, thankfully). It goes something like, can’t these people keep their environment clean?
There is a grain of truth to this–people could be a bit tidier, but there is also a pervasive sense that, no matter what they do, they are powerless in the face of the Occupation to make positive change in their lives: that, friends, is perhaps fatalism. Or more likely, despair. It shows, among other ways, in the untidiness.
I refuse to blame people for despair–it is too understandable under these circumstances.
And yet, Palestinians have the oddest and sometimes most creative and indeed stubborn (and yes, untidy) way of showing hope. You notice this especially in the villages and suburbs.
What you notice is that quite a few buildings look unfinished. In ways unthinkable in Canada’s highly regulated construction industry, the buildings–houses and apartments, usually–are left with the architectural equivalent of a dead stop in mid-sentence, like this mosque in a village not far from Bethlehem:
Many buildings are under demolition orders in Area C (which is under complete Israeli administrative control). The demolition orders are notoriously arbitrary in issuance and discriminatory in enforcement. Palestinian structures are targeted almost exclusively (I note this because the same Israeli administrative control applies to settlements in Area C, without the same frequency of demolition orders–if any are ever issued for Israeli buildings…).